Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le blog de Banta-WAGUE

Le blog de Banta-WAGUE

C'est l'espace idéal pour partager le plus cher au monde avec mes chers frères, amis, sœurs et le monde entier ; celui du savoir. B.W


Le débat sur le code de la famille entre la mouvance islamique et la mouvance laïque au Sénégal

Publié par Banta-WAGUE sur 27 Novembre 2013, 00:02am

Catégories : #Politique et religion au Sénégal

   Par Banta Wague, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, 2009.     

            Le débat sur le code de la famille est un phénomène qui a excité la société sénégalaise depuis le vote d’un code de la famille en 1972. À cette époque les chefs religieux s’étaient opposés à un tel projet initié par le président Senghor, tout en indiquant que ce code est ouvertement en contradiction avec les valeurs de la religion musulmane. Pour Christian Coulon[1] : « Quelques années plus tard (fin des années 60, début des années 70), le climat se détériora à nouveau entre le gouvernement et les marabouts, ceux-ci estimaient que le code de la famille (promulgué en 1972) portait atteinte aux valeurs fondamentales de l’islam »[2].

Avec l’avènement de l’alternance en mars 2000, le débat prend une grande ampleur suscitée par deux camps diamétralement opposés. Il s’agit du Comité islamique pour la réforme du code de la famille au Sénégal (CIRCOFS) et le camp des « laïques ». Cette alternance et la transmission du pouvoir civil entre le président sortant Abdou Diouf et le président élu Abdoulaye Wade est considérée comme le début d’une vraie démocratie au Sénégal. Ainsi, dans ce contexte (particulier), après que les autorités aient différé le projet sur l’autorité parentale, que des religieux ont mis sur pied une instance baptisée […] (CIRCOFS) et ont proposé un « code de statut personnel» destiné à régir exclusivement la situation personnelle et familiale des Sénégalais de confession musulmane. Avec la médiatisation du débat, gouvernants et gouvernés se sont senti obligés de prendre position sur un sujet où arguments et arguties s’entremêlent, aggravant les quiproquos (malentendu) et attisant au passage les passions, divisant le Sénégal entre partisans et adversaires du projet.

Nombreux sont ceux qui ne savent pas de quoi on parle, ni comment et pourquoi on en parle »[3].

Au cours de l’année 2002 ce comité islamique est revenu en force avec un « projet de loi » pour réformer l’actuel code de la famille en vigueur. Me Babacar Niang, leader du CIRCOFS, justifie la réforme comme suit : « il serait […] faux et dangereux de se contenter de simples modifications de tel ou tel article de l’actuel code de la famille. […], il convient de respecter la liberté de conscience de chacun inscrite dans notre constitution en substituant au code de la famille un code de statut personnel qui soumet chacun à sa loi personnelle, c’est-à-dire qui soumet les musulmans à la charia, les chrétiens et les non musulmans à leur loi personnelle »[4]. Cette communauté islamique prétend militer dans la logique démocratique, qui donne à la communauté musulmane une majorité numérique, donc le droit de vivre et d’organiser son foyer conformément aux préceptes de sa foi. Mais le problème en est comme le souligne Marie Brossier (CRIS, Université de Paris I) l’absence d’une importante mobilisation en faveur du « projet de statut personnel » de la part de cette majorité musulmane. Aussi la réforme du CIRCOFS n’a pas rencontré l’approbation du président de la République Abdoulaye Wade[5].

Cette majorité numérique est même critiquée par le professeur Cissé qui mentionne que : « La communauté islamique est une communauté de foi qui transcende les frontières des territoires des Etats dans lesquels vivent les musulmans. Cela veut également dire que la vie et la survie de la communauté religieuse est indifférente à l’égard de la loi applicable sur le territoire comme en témoignent l’évolution des sociétés musulmanes. La majorité à elle seule ne fait pas la légitimité ; ce qui fait la légitimité dans un Etat de droit, c’est le respect des règles et de la procédure qui permettent d’accéder au pouvoir et de participer à son exercice.

Combien de fois l’on voit autour de nous une majorité gouvernée par une minorité parce que s’étant abstenue ou ayant boycotté des élections ? ou bien comme en islam, « combien de fois une troupe peu nombreuse a, par la grâce d’Allah, vaincu une troupe très nombreuse ! » (Sourate La Génisse, verset 249) ».[6]

Cette analyse du professeur Cissé peut être pertinente si ces règles sont votées par la minorité sans le consentement de la majorité. Mais ce qui n’a pas retenu l’attention du professeur c’est que : dans le cas où ces règles dont la majorité devrait respecter, sont adoptées ou établies par la voix référendaire, il ne sera pas question de douter sur la légitimité de la majorité. En effet, c’est elle qui a adopté ses propres règles selon sa conviction religieuse ou même politique. Concernant l’abstention ou le boycott de la majorité, nous pouvons dire qu’une majorité politique ou religieuse si engagée et si déterminée n’abandonne pas sa conviction et ne délaisse pas sa cause. 

Concernant le verset coranique cité nous répondrons qu’il n’est applicable que dans un contexte de guerre, seulement en d’autres temps et en d’autres circonstances son application n’est pas forcément adaptée.

La confrontation démocratique entre le CIRCOFS, le camp des « laïques » et l’arbitrage du président Abdoulaye Wade

D'emblée, Il convient de souligner la difficulté de donner le nom projet de loi à ce code du CIRCOFS : « D’un point de vue littéraire, il peut être présenté comme un projet de code, une telle qualification serait difficilement admise du point de vue du droit. En effet, dans un Etat de droit, un code ou un texte de loi au sens général du terme (règle générale, abstraite et obligatoire) est le résultat d’une initiative du Gouvernement (projet) ou du parlement (proposition) »[10].

(1) La Communauté islamique pour la réforme du code de la famille au Sénégal :

            Composé à la fois de chefs religieux, du Collectif des Associations Islamiques du Sénégal CAIS et d’individus divers, le CIRCOFS s’est formé en 1996 afin de rédiger un projet de code de statut personnel[7]. Tout en collaborant d’une manière permanente avec le Collectif des associations islamiques et familles religieuses, le CIRCOFS a donc rédigé un avant-projet de code présenté à Dakar lors d’une conférence, le 12 octobre 2002, à laquelle ont pris part 29 délégués des grandes capitales musulmanes du pays. Nous pouvons citer : Serigne Abdoul Aziz Sy Junior (confrérie des tidjanes), feu Serigne Mourtada Mbacké (confrérie des mourides), Serigne Sidy Moctar Kounta (Ndiassane) et Serigne Moussa Guèye Laye (confrérie des layènnes). Puis, un comité de suivi en charge des démarches jusqu’à l’adoption du projet […] est mis en place et envoie une demande d’audience au chef de l’Etat début 2003, signé par certains dignitaires musulmans[8]. Marie Brossier analyse tout cela en disant que : si le CIRCOFS se prévaut du soutien direct des khalifes généraux à sa cause, ceux-ci en revanche, ne se sont jamais prononcés personnellement sur la question[9].

(2) Le camp des « laïques »

            Composé d’associations des femmes et de défense des droits de l’Homme, le camp des laïques se constitue en réaction au projet qu’il qualifie comme rétrograde, dangereux, et constituant une menace pour la cohésion de l’union nationale, et la cohabitation entre communautés religieuses. […] Le camp laïque se mobilise à travers la création de réseaux de défense des ces idéaux qui sont : « le maintien du code de la famille en vigueur pour sauvegarder la laïcité de l’Etat, mais aussi l’équilibre qui fait du Sénégal une grande nation. » Marie continue sous le même ordre d’idée en montrant les efforts du « camp laïque » : « La création le 12 juin 2004, d’un Collectif pour la défense de la laïcité et de l’unité nationale au Sénégal permet de rallier autour d’un même objectif divers réseaux ou collectifs déjà existants, en mobilisant la société dans sa diversité sociale et professionnelle »[11]. Ce camp laïc manifeste sa volonté de décloisonnement comme l’illustre sa déclaration d’intention : « mobilisons-nous pour préserver l’unité nationale, la laïcité et les acquis démocratiques. […] Il faut rappeler que l’actuel code de la famille prend déjà en charge les différentes sensibilités sénégalaises notamment celles des musulmans en instituant un système d’option entre le droit moderne et le droit musulman […]. Nous devons présenter un front large, uni et déterminé, pour que ce code, dont l’adoption constituerait une atteinte grave aux valeurs citoyennes au profit de conceptions d’un autre âge, soit rejeté »[12]. Cette déclaration que nous n’avons pas besoin de trop commenter, montre la volonté de ce camp laïc d’aller jusqu’au bout pour lutter contre ce projet du comité islamique.

 

[1] Professeur émérite à Sciences Po Bordeaux. Il est spécialiste de l’Afrique et du monde musulman. Il a publié de nombreux ouvrages sur les identités et mobilisations religieuses et identitaires en Afrique au sud du Sahara.

 [2] Christien Coulon, Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire, Karthala, 1983, paris, p. 134.

[3] Abdoulaye Cisse, Regards sur « le projet de code de statut personnel islamique » Contribution au débat sur l’avenir de la famille sénégalaise, p.2.pdf.

[4] Marie Brossier « Les débats sur le droit de la famille au Sénégal, p.78. in ; Sénégal 2000-2004 » l’alternance et ses contradictions, sous la direction de Tarik Dahou, Karthala, Paris, 2004.   

 [5] Ibid.,

[6] A. Cisse, op. cit., p.6.

[7] Ce code de statut personnel en 7 livres est applicable aux musulmans, les chrétiens et les animistes peuvent conserver - s’ils le désirent- le code en vigueur.  

 [8] Ces dignitaires signataires sont : Thierno Mountaga Tall, Abdoul Aziz Sy junior, au nom du khalife général des tidjanes, Seriñ Mourtada Mbacké, au nom de Seriñ Saliou Mbacké, le khalife général de Ndiassane.  M. Brossier, op. cit., p. 84. 

 [9] M. Brossier, op. cit., p. 84.

[10] A. Cisse, op. cit., p.3.

[11] M. Brossier, op. cit., p.86.

[12] Idem., p.87.

[13] Ibid., p.88.

[14] Idem.,

[15] Idem.,

[16] Idem.,

[17] Agrégé des facultés de droit, Professeur titulaire de la Chaire de droit privé et du cours magistral de droit de la famille à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (SENEGAL).

[18] A. Cisse, op. cit., p.9.

 

Le débat sur le code de la famille entre la mouvance islamique et la mouvance laïque au Sénégal
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents