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Le blog de Banta-WAGUE

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Est-t-il possible de séparer politique et religion au Sénégal ? Le Président Senghor et les chefs religieux

Publié par Banta-WAGUE sur 19 Novembre 2013, 05:46am

Catégories : #Politique et religion au Sénégal

Par Banta Wague, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, 2009.

  Une question à laquelle il est difficile de trouver une réponse exacte. Toutefois, pour sauvegarder la démocratie et l'espace public fortement colorés par la religion, il serait utile de repenser la laïcité de manière autonome à la sénégalaise.

Dans leur configuration actuelle, les relations entre politique et religieux restent liés à l'histoire politique du Sénégal telles que voulues par les hommes politiques qui se sont jusqu'ici succédés à la tête de l'Etat[1]. Ces relations entre l’Etat postcolonial du Sénégal et les chefs religieux sont caractérisées par un intérêt mutuel. Il s’agit de l’échange de services. D’un côté comme de l’autre, toute action entreprise se fait dans un but bien déterminé. Dans le but de recueillir les suffrages des électeurs ou d’atteindre un objectif au plan social, les autorités politiques ont souvent fait appel aux dignitaires de l’islam sénégalais. Comme le remarque l’islamologue et chercheur à l’Institut Fondamental d’Afrique Noire IFAN, Khadim Mbacké : « la classe maraboutique constitue un relais proche pour toucher les populations ». De même, la sollicitude de l’Etat pour les guides religieux n’est jamais spontanée. Puisque ces derniers ont eu à contribuer à la stabilité sociale du pays dans l’encadrement religieux des populations[2].

Dans un entretien avec le journaliste Moustapha Foyré Sow, l’historien Mamadou Diouf, décrit le système politique sénégalais et le rôle de chefs religieux dans ce système : « Les chefs religieux ont toujours joué un rôle dans la vie politique sénégalaise. C'est ainsi que fonctionne notre système politique. Les marabouts font partie intégrante de notre système politique depuis la période coloniale. Et notre système politique a toujours été une combinaison de logiques d'intérêts souvent contradictoires. On se rappelle du rôle déjà joué en 1968 par El Hadji Serigne Falilou Mbacké et beaucoup d'autres marabouts dans l'apaisement des tensions politiques dans notre pays. En fait, le système maraboutique est le double de l'Etat dans la mesure où les marabouts ont également des intérêts dans ce système. Ils ont un pouvoir équivalent à celui des hommes politiques »[3].

Dans le même ordre d’idée, Momar Coumba Diop et Mamadou Diouf notent l’intégration du pouvoir maraboutique dans le système politique sénégalais : « les marabouts sont, d’une manière générale, politiquement intégrés au système en place »[4].

Hesseling Gerti ajoute qu’« il faut toutefois signaler que conformément à la tradition islamique du Sénégal, l’autorité publique trouve également une légitimation dans les liens avec l’autorité religieuse, avec les chefs religieux. Ce phénomène caractérisait déjà les royaumes islamiques précoloniaux et constituait un élément constant de l’histoire coloniale et postcoloniale qui apparaît clairement dans les alliances entre les marabouts d’une part et l’Etat coloniale, puis les responsables politiques contemporains d’autre part »[5]. Ainsi nous arrivons à l’étape concernant la relation du premier président de la République du Sénégal et la hiérarchie maraboutique.  

Le président Senghor et le pouvoir maraboutique

            La nouvelle génération de marabouts avec leur stratégie (collaboration) a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire du Sénégal. Cette nouvelle génération n’a pas dirigé des guerres sanglantes contre le pouvoir politique mais plutôt il a su s’adapter à la nouvelle situation du pays. Cela a amené le pouvoir colonisateur français à collaborer avec ces marabouts.  Depuis lors les marabouts sont devenus incontournables. Cette position des marabouts n’a pas changé après l’indépendance. Mais les nouvelles élites du Sénégal ont aussi, à leur tête le président Senghor, maintenu cette collaboration avec les chefs religieux. En tout état de cause, nous pouvons citer les deux raisons suivantes :

- Etant des personnalités très influentes et très respectées au sein des populations notamment des talibés, le choix des marabouts est déterminant dans la mesure où il s’accompagne massivement d’autres choix.

- Etant également un faiseur de miracles et doté d’un pouvoir magique (spirituel), on espère qu’il est à coup sûr capable de faire gagner une élection ou faire obtenir une popularité et une promotion.

La course au pouvoir s’accompagne de course vers les marabouts surtout les plus influents ; car plus un marabout est influent, plus il sera en mesure de donner des voix à un candidat ; d’où l’importance de l’enjeu[7].

Quelques changements ont été constatés depuis les élections de l’alternance en 2000 pendant lesquelles les talibés et plus généralement les sénégalais se sont montrés réticents aux recommandations électorales des marabouts.

Madame Gerti résume la politique du président Senghor vis-à-vis de chefs religieux au Sénégal dans la phrase suivante : « L’habileté politique de Senghor ressort de la manière intelligente dont il a su s’assurer le soutien des chefs islamiques. Bien que sa formation (occidentale) de chef politique moderne l’ait poussé à appuyer son régime sur la séparation de l’Église et l’Etat, il avait très bien compris, en tant que catholique dans un pays musulman, qu’il ne pourrait se maintenir sans ce soutien. Son autorité sur le peuple mérite donc le qualificatif d’ « indirecte»[8].

Le président Senghor a su par conséquent, s’imposer par cette habileté politique et gérer toutes les situations délicates pendant son règne.

En 1967, il noue des relations d’amitié avec le khalife général des mourides. Et ce dernier lui garantit une amitié sans réserve. Le père Joseph Roger De Benoist nous raconte qu’ « Un communiqué publié le 13 mai 1967 dans le quotidien gouvernemental Dakar-Matin par El Hadj Falilou Mbacké, khalife général des mourides, a très clairement décrit les rapports entre ce chef religieux et le pouvoir. « L’amitié indéfectible », née entre lui et Senghor dès les années 1945, « s’est concrétisée, d’un côté, par un soutien continu et sans réserve, de l’autre par une politique d’aide et d’assistance de la part du président Senghor à l’adresse du Khalife général des mourides et de l’ensemble de la communauté mouride ». Sont énumérés alors tous les grands travaux et avantages économiques consentis en faveur de cette communauté »[9]. Bien avant cette date, en 1962, le président Senghor était soutenu par les forces maraboutiques dans la crise qui l’opposait à Mamadou Dia, son vieux compagnon de route et le président du premier gouvernement du Sénégal indépendant[10]. Ce même auteur écrit qu’il pourrait en dire autant pour la communauté tidjane, l’une de deux puissantes familles religieuses au Sénégal. Selon le terme de cet auteur : « Senghor n’a rien ménagé pour conserver le soutien de ces grands électeurs qu’il jugeait indispensable à son maintien au pouvoir »[11].

Nous pensons qu’un président de la République doit prendre ce genre d‘engagements tel un devoir national du chef d’Etat pour le bien de son pays. 

Nous remarquons également, l’importance accordée par le père Joseph Roger aux chefs religieux de cette époque en les désignant comme des “grands électeurs”. 

 

[1] Ibrahima Diallo, Le jeu des pouvoirs, Colloque sur Islam et sphère public. Sud Quotidien, 16 mars, 2007. http://www.wluml.org/french/newsfulltxt.shtml?cmd%5B157%5D=x-157-552060

[2]  Abbé Jacques Seck, « Aux origines du “contrat social” sénégalais » p. 97. in ; Les religions au Sénégal, cahiers de l’Alternance, n° 9, décembre, 2005.

[3] Entretien de M. Foyré Sow avec M. Diouf http://www.lesoleil.sn/imprimertout.php3?id_rubrique=837

[4] M. Coumba Diop, M. Diouf, Le Sénégal sous Abdou DIOUF, Karthala, paris, 1990, p.78.

[5] Hesseling. Gerti, Histoire politique du Sénégal p.375.

[7] Moro Seydi, Les confréries islamiques au Sénégal, le cas du mouride. Cheikh Ahmadou Bamba (1850-1927, mémoire de Maitrise de lettres et civilisations arabes, Université de Bordeaux III Faculté des Lettres et Sciences Humaines, 1989-1990, p. 87-88.

[8] H. Gerti, Histoire politique du Sénégal, p.366.

[9] Joseph Roger De Benoist, opcit., p. 145.

[10] Pour plus d’information sur cette crise Senghor/Dia Voir L’islam au Sénégal du M. Magassouba, Afrique le prix de la liberté du M. Dia.

[11] J. Roger De Benoist, opcit., p. 145

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